Il y a dans chaque famille un écrivain, comme dans une fratrie il y a le matheux, le sportif ou le sale caractère. Hormis une "reconnaissance" qui ne dépasse pas les salons du livre du voisinage ou les succès d’estime, l’écrivain de la famille ne dépasse pas - non plus - la sphère familiale. Et ce ne sont pas les photos de lui sur les réseaux sociaux, attablé au supermarché du coin, exposant ses livres, prêt à toutes les amabilités possibles et inimaginables ; prêt même à complimenter un enfant remuant, un mari impatient ou luttant contre le désintéressement du quidam qui s’est planté devant la table sans trop savoir pourquoi, pour entamer la route très escarpée de la réussite C’est parfois à se demander si relayer ce type de photo avec moult extraits de ses livres ne serait pas une tentative désespérée de reconnaissance, ou une forme déguisée d’orgueil.
Qui ou quoi finalement nous donne le droit de nous affubler du titre d’« auteur » ou d’ « écrivain » ? Le fait d‘avoir publié ? Le nombre de vente ? Aujourd’hui, on peut publier sur des plateformes en auto-édition. N’importe qui peut raconter ses souvenirs d’enfance, une romance mielleuse, une fantasy magique ou un polar de territoire. Il y a plus d’écrivains que de lecteurs, et avec la venue de l’AI, il va être de plus en plus difficile à l’écrivain de la famille de percer. Un ami, lui un "vrai" écrivain, me disait qu’on était écrivain à partir du premier centime versé par un éditeur. Ok ça c'est fait... quelques centimes de plus m'iraient bien...
Mais cela suffit-il ? Qu’a-t-on de si important à dire pour le partager ?
Ce monde est devenu une plateforme universelle où chacun peut donner son avis, avec ou sans discernement. Dans cette jungle de partis pris, que peut l’écrivain et quel rôle peut jouer l’écriture ? Son écriture ? Internet a ouvert des fenêtres et fermé des portes : on s’allie plus facilement avec ce qui nous ressemble plutôt que d’aller découvrir ce qui est différent. C’est dans ce petit interstice que la littérature se glisse : faire découvrir le monde d’un autre œil car la fiction permet de dépeindre la réalité sous l’angle de vue de l’auteur. Et un auteur a conscience de ses doutes, de ses faiblesses, de ses maladresses, c’est en ça qu’il propose un monde de nuances plutôt que de convictions. Le livre ouvre au monde des nuances, donc de la diversité de vies et, par conséquent, de penser. Car si on doit louer la vertu de la littérature, ce serait sa capacité à nous aider à penser. Mais le veut-on, penser ?Nos modèles de vies doivent dépasser notre cercle de proximité, la littérature présente des vies, des personnages, des trajectoires qu’on ne pourra jamais approcher d’aussi près, jamais expérimenter avec autant d’émotion. La littérature est utile comme le lombric : elle permet d’aérer la terre sur laquelle nous vivons, la travailler et la bonifier.
Ecrire c’est ça : offrir de la vie, et ça, pour l’écrivain, c’est la raison d’être.
Merci pour ces réflexions. Ne perdons pas de vue que l’écriture est aussi passe-temps, hobby, passion. Personne ne s’imagine devenir Mark Knoplfer ou Jimi Hendrix après une première leçon de guitare. Il devrait en aller de même après la rédaction d’un premier chapitre. Devenir un professionnel de l’écriture n’est pas nécessairement l’objectif de tout auteur. D’autant plus que professionnalisation rime souvent avec aliénation.